Guinée Télécom sera-t-elle au rendez-vous du 1er semestre 2023 ?

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La reprise des activités de Guinée Télécom est devenue une préoccupation et un défi national, dans le sens où le 12 octobre dernier, lors d’une émission dans un média local, le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique, Ousmane Gaoual Diallo a annoncé à son tour, le lancement courant 1er semestre 2023, des activités avec la technologie 4G ou 5G.

Suite à ces différentes annonces répétitives avortées, l’on se pose aujourd’hui la question de savoir les motifs réels qui ont empêché la relance effective des activités Guinée Télécom. Est-ce que ce est dû à un manque de ressources, de stratégie, de mauvaise gestion, ou d’expertise ?

Pour répondre à cette problématique, nous allons procéder à une analyse approfonde  et exhaustive de la situation et dresser un diagnostic approprié. En premier lieu, nous allons faire un exposé succinct sur l’historique du projet d’extension et de modernisation de la Sotelgui   réalisé de 2014 à 2016, ensuite le déroulement de l’installation des nouveaux équipements, identifier les insuffisances et enfin proposer quelques solutions idoines.

De 2011 à nos jours, tous les ministres qui se sont succédé à la tête du département des télécommunications, commençant par Oye Guilavogui (2010 – 2015), Mamy Diaby (2015- 2020), Oumar Said Koulibaly (2020- 2021) et Aminata Kaba (2021- 2022), ont tous promis de relancer les activités de l’opérateur des télécoms public Guinée Télécom ex SOTELGUI (Société des Télécommunications de Guinée).

Créée en 1992, par le Décret D/92/141/PRG/SGG, la SOTELGUI est le résultat du désengagement du gouvernement guinéen des secteurs public, relatif au programme d’ajustement structurel mis en œuvre conjointement par le gouvernement guinéen et la Banque mondiale. Les activités ont démarré en mai 1993 avec la mission d’assistance technique de France Câbles et Radio (FCR).

Après 2 ans d’assistance technique passé avec FCR, le gouvernement guinéen a établi  une convention de partenariat avec  TELEKOM MALAYSIA BERHAD (TMB), un  opérateur public malaisien de Télécommunications, avec 60 % des parts de cession  de la Sotelgui pour 45 millions USD, et les  40 % des parts restantes  pour un montant de 30 millions de dollars USD à l’état guinéen.

Dans le but de moderniser le réseau de la SOTELGUI, le gouvernement de la République de Guinée a obtenu en 2011, au près d’Exim Bank, un prêt de 50 millions de dollars (USD) pour financer le projet. Cela a permis de signer le 1 er juillet 2011, un contrat clé en main pour la fourniture, l’installation et la mise en service avec l’équipementier Chinois, Huawei.

A l’époque, le contrat prévoyait l’extension du réseau 2G (service voix), pour le service Internet, il était prévu la construction des nouveaux sites CDMA, ensuite la construction de sites « indoor » 2G, la remise à niveau et l’extension du central (MSC) pour la partie Core et l’utilisation du système de transmission existant, indique un des membres du comité technique mis en place à l’époque pour réfléchir sur la mise en œuvre du projet et le suivi des travaux.

A l’issue des travaux de réflexion et d’analyse de l’état des avancées technologiques, le comité technique a apporté les modifications suivantes, compte tenu de la réalité de l’époque :

  • Suppression de la commande d’équipements CDMA dans le BOQ d’alors,

  • Remplacement des BTS 2G « indoor » par des BTS 4G « Out door »

  • Remplacement systématique des centraux (MSC) de 2.000.000 d’abonnés,

  • Remplacement systématique de la plateforme IN de 600.000 abonnés par une plateforme convergente moderne qui peut prendre en compte tous les Services à Valeur Ajoutée (SVA) des deux millions (2.000.000) d’abonnés,

  • Réduction conséquente de la puissance des groupes électrogènes qui pouvait aller jusqu’à 200 kva, permettant ainsi de réduire les charges en carburant et lubrifiant (celle-ci est uniformisée à 13KVA), de même, l’achat de systèmes de climatisation coûteux est quasiment annulé, les équipements étant outdoor,

  • Remplacement du système de transmission, E1s par un système en IP, ceci ayant l’avantage de pouvoir écouler un plus grand trafic en large bande,

  • L’implémentation des annonces dans le système,

  • Installation de BSC de plus grande capacité.

En plus, le comité a ensuite demandé à l’équipementier de fournir, un système de facturation (AAA) capable de gérer les services notamment les post payés, l’ADSL, FTTX, WiMax le Wifi et un PS qui peut supporter le chargement des données.

En 2014, Huawei a effectué la mise à niveau du réseau avec l’installations d’un MSC  (Central téléphonique pour le réseau mobile) 2.000.000 d’abonnés ; deux (2) BSC à Conakry, un (1) en province ; 61 sites 4G/2G (Conakry), 90 en Provinces :  54 (4G) et 36, (2G) ; 44 groupes électrogènes (Conakry) et 97 (provinces) 60 bonds FH. En 2015, une trentaine d’ingénieurs a reçu une formation sur les nouveaux équipements et 6 ont été envoyés en formation en chine sur les équipements BSS, NSS, et FH, a révélé un  des membres du comité technique.

A l’issue  des travaux d’installations  en 2016 et dans la perspective du démarrage des activités, le cabinet SFM Technologies de Tunisie a été  sollicité  pour réaliser l’audit opérationnel des équipements installés et cela  conformément à  l’accord établi avec Huawei.

L’audit technique prévoyait les tests de conformité du matériel et du logiciel (cœur du réseau, RAN et transmission, la partie physique des sites). Quant à l’audit financier il consistait a examinr et apprécier le coût des équipements livrés comparativement à un Benchmark entre les prix proposés par Huawei en Guinée et dans d’autres pays.

Au cours des travaux, le cabinet SFM technologies a indentifié un certain nombre d’incohérences et insuffisances dans la mise en œuvre du projet.  Au terme des travaux, SFM a fait des recommandations notamment le respect des normes, la mise en place des procédures, la mise à niveau des certains logiciels des équipements de la partie CORE, en passant par la partie RAN et l’environnement (Climatisation des locaux abritant des équipements), et enfin sur la protection et la sécurité des sites.

Une autre mission d’audit a été effectué en 2018 par une équipe de la Banque mondiale. Cette dernière consistait à évaluer les équipements et les infrastructures existants.

Après que la SOTELGUI soit  mis en redressement judiciaire en 2012 et à l’arrêt systématique de toutes ces activités en 2014, le président de la république, Alpha Condé, a crée le 15 septembre 2017 à travers le décret D/2017/246/PRG/SGG, la Société  Guinée Télécom.

Comparativement aux différents audits des gestions antérieurs des autres secteurs public en cours, l’état doit engager une mission de contrôle sur l’utilisation des 50 millions USD contracté avec l’exim Bank pour la modernisation et l’extension du réseau, relatifs à la mise en œuvre du projet. Beaucoup de zones d’ombre est à élucidé sur ce projet.

Le ministre Oyé Guilavogui qui avait soutenu le comité pour l’installions de la 4G en Guinée avait promis de relancer la société, malheureusement cela n’a pu avoir lieu jusqu’à son départ.

Arrivé à la tête du département des Télécommunications en 2015, Moustapha Mamy Diaby avait suivi la suite des travaux de modernisation du réseau. A la fin des installations, il avait déclaré mettre une stratégie de relance à travers un partenaire qui disposerait d’une expertise et dotée d’une capacité financière pour poursuivre la modernisation et la mise à niveau du réseau. Malgré cette stratégie, durant l’exercice de Mamy Diaby, le projet de relance est resté au point mort.

En 2016, des tests de fonctionnement avaient été effectués avec les nouvelles cartes 4G et les appareils qui vont avec et les résultats de ces tests avaient été concluants.

La dissolution par ailleurs du Comité technique de suivi, a fait que les recommandations du cabinet SFM n’ont pu être mises en œuvre.

En succédant à Moustapha Mamy Diaby en 2020, Oumar Saïd Koulibaly, avait procédé à son tour à l’état des lieux du réseau. D’après les résultats de ces travaux, les infrastructures étaient dans un état très dégradées et n’étaient pas en mesure de fournir rapidement des services. A l’époque, plusieurs médias et observateurs avaient évoqué la possibilité de cession de 70% des actions de Guinée Télécom à un potentiel repreneur et aussi à une éventuelle fusion-absorption entre Guinée-Télécom et Cellcom.

C’est dans cette situation qu’il y a eu le coup d’état du 5 Septembre 2021, Madame Aminata Kaba a pris la tête du MPTEN.  Dans l’optique de relancer Guinée Télécom, le président Mamady Doumbouya, a pris un décret le 15 décembre 2021, nommant Monsieur Lamine Aye Samoura en qualité de coordinateur en charge de la relance de Guinée Télécom.

Arrivée à la tête du département des télécoms, dans le cadre de la relance des activités de Guinée Télécoms, Madame Kaba, pour sa part, a lancé, au mois de mars 2022, un appel d’offres pour le recrutement d’un cabinet chargé de l’identification d’un partenaire stratégique. Le   20 août 2022, Mr Ousmane Gaoual Diallo a succèdé  à Mme Aminata KABA sans qu’elle puisse aboutir à son objectif.

À ce jour, le projet est complément à l’arrêt, les équipements sur les sites sont à l’abandon, tous les bâtiments administratifs et techniques sont en état de délabrement, les équipements installés sont tous presque détériorés ou en  état dégradé par les intempéries ou vandalisés. Après une longue période de prestation non rémunérée, le personnel affecté à la sécurité des installations, a fini par abandonner les sites.  L’équipe d’ingénieur qui avait suivi la formation en Chine et participée aux différents travaux installations a été dissoute en 2016.

Suite à ces différents rendez-vous manqués, l’on se demande à présent, le délai  annoncé par le ministre Ousmane Gaoual est-il viable pour une reprise effectives des activités ?  et quelles approches peuvent être mises en place ?

Après 10 ans d’absence sur le marché Guinéen des télécommunications et pour être aussi en phase avec la politique de la refondation de l’état et ses institutions prônée par les nouvelles autorités, il sied aux autorités de transition de doter notre pays d’un opérateur public des télécoms très efficace, disposant des dernières technologies, à l’image des autres opérateurs public de la sous-région (Côte d’ivoire télécom en Côte d’ivoire, Sonatel au Sénégal, Celtiis au Benin, Togo Télécom au Togo etc.)

Pour une question de stratégie et de souveraineté nationale le contrôle du trafic téléphonique d’un état est une question cruciale. L’absence d’un opérateur public représente a priori une menace pour la sécurité nationale d’un pays.  Avec la montée du djihadisme, le terrorisme  et autres phénomènes liés aux cybercriminalités, la sécurité et la confidentialité des informations de l’état, des ses institutions et d’autres personnalités doivent être une priorité absolue. C’est pourquoi le contrôle des appels téléphoniques doit être confié à un opérateur public.

Dans un intervalle de six mois c’est possible de démarrer un plan d’action de relance des activités, c’est possible aussi que la stratégie du Ministre Ousmane Gaoual soit inscrite dans une  logique de relancer les travaux qui ont été interrompus. Par contre,  la fourniture du service téléphonique proprement dite n’est pas envisageable avec l’état actuel des équipements et des installations. Les différents équipements nécessitent une réhabilitation et une mise à niveau (upgrade).

La démarche de fusion avec Cellcom Guinée évoquée, une autre entreprise presqu’en faillite n’est pas avantageux. En effet, depuis des années, Cellcom accuse des déficits à la clôture des exercices et possède un passif très lourd et présente des infrastructures télécoms presque révolu et ne dispose même pas une licence à jours. Il faut opter pour la stratégie « Nouveau réseau, Nouvel Opérateur de Télécom ».

Pour un démarrage technique et commercial réussi de Guinée Télécom, nous proposons les approches de solutions suivantes :

  • Diligenter une mission pour faire l’état des lieux de toutes les installations,

  • Réhabiliter les sites, les bâtiments administratifs et techniques,

  • Recruter un personnel de sécurité pour les sites,

  • Mettre en place une équipe technique dynamique et compétente. Pour ce faire, on peut remettre sur pied l’équipe technique du projet. Car, faire appel aux ingénieurs qui ont été formés et  participés aux travaux d’installations permettrait de capitaliser sur leur formation et de  bénéficier sur  leurs expériences, puisqu’engager d’autres à leur place risque d’être une perte d’expertise et d’investissement déjà réalisé.

  • Doter Guinée Télécom de nouveaux statuts. En plus d’être un opérateur de services mobile, la doter le  statut d’opérateur d’infrastructures, tout en procédant à une fusion avec la SOGEB (Société de gestion du Backbone national) en qualité de filiale.  Ce ci permettra de renforcer sa position d’opérateur public vis-à-vis des autres opérateurs présents en Guinée.

  • Lui doter  la licence globale 4G et 5G,

  • Et enfin lancer un appel d’offre international pour recruter un opérateur qui dispose d’une grande expertise dans le domaine des Télécommunications dans le but de poursuivre la modernisation du réseau.

L’objectif, à travers Guinée Telecom, est sûrement de doter le pays d’une souveraineté dans le domaine des télécommunications, permettre à l’État d’être indépendant des services des multinationales, notamment Orange, MTN et Cellcom.

Une fois opérationnelle, Guinée Télécom fera office d’opérateur public et contribuera  à la réduction des coûts des services des télécoms (Voix et internet), offrira à la population des services les plus innovants. Ce qui lui  permettra  de se repositionner sur le marché concurrentiel des télécommunications en Guinée et surtout, de  retrouver sa position d’opérateur historique datant. Cela nécessite une volonté politique très forte, un soutien sans faille, un retour de toute l’administration et des sociétés d’état dans l’escarcelle de Guinée Télécom.

A. BAH  Junior 

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