Le Service des Télécommunications en République de Guinée fait face à une crise silencieuse mais lourde de conséquences : la dégradation accélérée de la qualité des services de télécommunications. À l’heure où le numérique devient un pilier stratégique du développement, les trois principaux opérateurs — Orange, MTN et Cellcom — sont confronté à des difficultés qui affectent les consommateurs.
Selon les derniers statistiques fournis par l’Observatoire Télécom de l’ARPT, le pays compte désormais plus de 14 millions d’abonnés mobiles, avec un taux de pénétration dépassant les 100 %. Sur le papier, ces chiffres témoignent d’un secteur dynamique. Mais derrière cette croissance apparente se cache une réalité bien plus préoccupante : la dégradation progressive de la qualité de service, menaçant l’accessibilité, la performance et la fiabilité des réseaux.
Alors que le numérique devient un levier essentiel pour l’inclusion, l’éducation et le développement économique, la qualité des services télécoms en Guinée connaît une dégradation inquiétante. De la saturation du réseau, à l’effondrement technique, en passant par le déclin prolongé de certains opérateurs, l’ensemble du secteur montre des signes d’essoufflement alarmants.
Entre freins réglementaires, infrastructures obsolètes et retards d’investissement, les défis auxquels font face les opérateurs de télécommunications sont à la fois nombreux et urgents. Il est donc essentiel de dresser un état des lieux clair et objectif de leurs réseaux afin d’identifier les faiblesses structurelles, les besoins prioritaires et les leviers d’amélioration possibles.
Orange Guinée, victime d’un monopole de fait
L’opérateur Orange Guinée se trouve aujourd’hui dans une situation de monopole de fait. Cette position résulte d’une migration massive d’usagers, provoquée par le manque d’investissement des deux autres opérateurs actifs sur le marché, eux-mêmes confrontés à des difficultés techniques, financières et organisationnelles.
Cette concentration impose désormais une extension urgente de la capacité réseau. Mais la réalisation de cette extension est confrontée à certains obstacles majeurs. D’une part, la difficulté d’acquérir de nouveaux sites est confronté par la méfiance des bailleurs (Propiétaires des bâtiments ou terrains) et la complexité des démarches foncières, ralentit considérablement l’expansion du réseau de l’opérateur. D’autre part, le déploiement des services sur la fibre optique, infrastructure clé pour une connectivité moderne et performante, est largement entravé par des restrictions réglementaires.
Cette situation contraint les opérateurs à s’appuyer sur des technologies moins efficaces, telles que les faisceaux hertziens, ce qui dégrade la qualité des services.
Face à ces défis, des réformes urgentes s’imposent : il est indispensable d’assouplir le cadre réglementaire, d’encourager la mutualisation des infrastructures et de stimuler les investissements technologiques.
MTN Guinée : un réseau en détresse technique
Depuis sa reprise par l’État Guinéen en décembre 2024, MTN Guinée s’est lancé dans une ambitieuse phase de redressement visant à restaurer la qualité et la fiabilité de ses services.
Toutefois, l’opérateur est confronté présentement à des défis considérables et complexes. Le réseau, largement vieillissant, souffre d’équipements obsolètes et d’une absence quasi totale de support technique efficace, ce qui compromet gravement la maintenance, la continuité et la performance des services offerts aux usagers.
Les constats dressés sont particulièrement alarmants. Plus de 200 sites sont actuellement hors service, principalement en raison de la défaillance de ces systèmes d’énergies pour assurer l’alimentation électrique des infrastructures: générateurs et batteries datent de 2016, De plus, la couverture 4G est inexistante dans plusieurs zones, aggravée par la pénurie de pièces de rechange nécessaires à la maintenance et à la réparation des équipements.
Par ailleurs, le cœur du réseau (Core Network), élément central de la gestion des communications, présente également des dysfonctionnements. Des équipements disponibles, restent inutilisés faute d’expertise et d’assistance techniques.
Un autre point critique réside dans l’utilisation d’un système de transmission TDM (E1), aujourd’hui obsolète. En outre, les interconnexions avec les autres opérateurs souffrent d’un manque de redondance, ce qui fragilise la continuité et la résilience des services.
Cette situation expose le réseau de l’opérateur à des risques élevés de d’interruptions fréquentes de service, compromettant gravement la fiabilité des services et la confiance des utilisateurs.
Pour surmonter ces obstacles majeurs, le gouvernement doit impérativement engager un plan de modernisation ambitieux et structuré du réseau. Ce plan doit inclure la rénovation complète du parc énergétique et des systèmes de transmission, afin d’assurer une alimentation stable et une capacité accrue de transport des données. De plus, il est essentiel de réactiver le support technique pour assurer la maintenance et la résolution rapide des anomalies. Enfin, la mise en place d’une maintenance préventive continue permettra de garantir la durabilité des infrastructures et d’anticiper les défaillances avant qu’elles n’impactent les usagers.
La réussite du redressement de MTN Guinée repose sur une stratégie globale, combinant modernisation technologique, renforcement des capacités humaines et gestion proactive des infrastructures. Cette transformation est indispensable pour restaurer la confiance des abonnés et assurer la pérennité d’un acteur clé du secteur télécom guinéen
Cellcom Guinée : entre déclin et espoir de renouvellement
Dans un paysage télécom Guinéen en pleine mutation, l’opérateur Cellcom Guinée illustre à lui seul les conséquences d’un manque d’investissement structurel dans un secteur en constante évolution.
Autrefois acteur majeur du marché, Cellcom Guinée ne représente aujourd’hui plus que 4,6 % de parts de marché, contre 20 % il y a à peine une décennie, selon les données de l’Observatoire du marché des télécommunications de l’ARPT.
Ce déclin progressif, résultant de multiples facteurs, s’explique principalement par le vieillissement des infrastructures techniques, une couverture réseau insuffisante, particulièrement dans les zones rurales où les besoins demeurent urgents et un manque d’investissement.
Dans ce contexte, le renouvellement de la licence d’exploitation de Cellcom Guinée, toujours en attente, constitue un enjeu stratégique majeur. Il représente non seulement un levier indispensable pour attirer de nouveaux investisseurs et relancer la modernisation des infrastructures, mais aussi une condition essentielle pour préserver la diversité concurrentielle du secteur télécom guinéen. Sans ce renouvellement, Cellcom risque de s’enfoncer davantage, au détriment de la qualité de service, mais aussi de l’équilibre global du marché. Il est donc urgent que les autorités notamment l’ARPT et le gouvernement statuent sur cette préoccupation, afin de garantir un avenir durable à cet opérateur, tout en assurant aux consommateurs une offre plus riche, plus compétitive et plus performante.
Au-delà du cas spécifique de Cellcom, cette situation met en lumière l’urgence d’adopter une politique de régulation plus dynamique et anticipative, capable de préserver la diversité des acteurs sur le marché. Une telle pluralité constitue un levier stratégique pour garantir une concurrence effective, stimuler l’innovation technologique, favoriser la réduction des coûts pour les usagers et renforcer l’inclusion numérique. Toute concentration excessive du marché, au profit d’un nombre restreint d’opérateurs, risque non seulement de freiner le progrès du secteur, mais également d’accroître les inégalités d’accès aux services numériques.
Propositions et pistes de solutions
Le secteur des télécommunications en République de Guinée fait face à une crise structurelle profonde, mettant en péril non seulement la qualité des services fournis par les opérateurs, mais aussi la compétitivité du marché et l’accès équitable au numérique pour l’ensemble des utilisateurs. Cette situation critique résulte d’une gouvernance morcelée, d’un cadre réglementaire inadapté aux réalités actuelles, d’un niveau d’investissement largement insuffisant et d’une concurrence quasi inexistante. Ces faiblesses structurelles fragilisent l’ensemble de l’écosystème numérique et compromettent son rôle stratégique dans le développement économique, social et éducatif du pays.
Dans ce contexte, il est impératif de faire de l’amélioration de la qualité des services télécoms une priorité nationale. Cela implique la promotion d’une concurrence saine, indispensable pour stimuler l’innovation et faire baisser durablement les coûts pour les consommateurs. Il convient également d’assurer une couverture nationale étendue, notamment dans les zones rurales encore marginalisées, et de créer un cadre incitatif à l’investissement, garantissant un environnement stable, prévisible et propice à la modernisation des infrastructures et à l’adoption de technologies avancées.
Pour relever ces défis, plusieurs recommandations clés doivent être mises en œuvre.
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Premièrement, une réforme structurelle profonde est nécessaire, avec une gouvernance renforcée. Il s’agit de clarifier les rôles et responsabilités de l’État, de l’Autorité de Régulation (ARPT) et des opérateurs, de moderniser le cadre légal pour l’adapter aux évolutions technologiques et aux réalités du marché, de renforcer l’indépendance et les moyens de l’ARPT, et d’instaurer un dialogue permanent entre les acteurs publics, privés et la société civile.
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Deuxièmement, un choix stratégique clair doit être fait entre soutenir les opérateurs existants pour qu’ils modernisent leurs réseaux et améliorent la qualité, ou ouvrir le marché à de nouveaux entrants capables d’apporter innovation et compétitivité. Ce choix doit impérativement s’appuyer sur un diagnostic rigoureux et transparent.
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Troisièmement, il est indispensable de procéder à un diagnostic sectoriel exhaustif et transparent, évaluant la couverture, la qualité, les coûts et la satisfaction des usagers, avec publication des résultats afin d’assurer transparence et adhésion collective.
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Enfin, une libéralisation effective du secteur doit être garantie, incluant la suppression des barrières injustifiées à l’entrée, la facilitation de l’accès aux infrastructures telles que la fibre optique, la mise en place d’un cadre réglementaire stable et attractif pour les investisseurs, ainsi que l’encouragement à la mutualisation des ressources et aux partenariats public-privé innovants.